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Et ce grand vaisseau ancré au cœur du fleuve voit passer à tribord et à bâbord des embarcations de tout genre descendant vers le nord-est et remontant vers le sud-ouest.
Ces nomades à voiles ou à turbines accompagnent à tire-d’eau, les outardes migratrices.
Ces nomades à voiles ou à turbines accompagnent à tire-d’eau, les outardes migratrices.
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Invitation au voyage
Du plus profond de la mémoire,
des souvenirs refont surface
sur des passages étroits
où les ciels des jours présents
prennent les teintes des nuits anciennes.
Si Baudelaire invite son âme,
— sœur ou enfant —
« À voir sur [des] canaux
Dormir [des] vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde;
C’est pour assouvir
[Le] moindre désir [de celle-là]
Qu’ils viennent du bout du monde. »,
les mots du poète en apparence oubliés
ressurgissent en traits et en couleurs
dans l’œil du photographe
qui ne se souvient que d’un titre
lors de la traversée d’un pont
enjambant un canal où avance un cargo
en route vers le centre du Continent.
Étrange cette mémoire qui a oublié;
elle guide, 50 ans plus tard,
l’œil, le geste, la ligne, la teinte
qui composent l’image.
FRF 20 septembre 2021
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Oui, c’est étrange cette impression contraire au « déjà vu » que j’appellerais le « jamais vu tout en étant pourtant familier ».
Récit d'une imprégnation
Par une belle journée de septembre en traversant à vélo, le pont Jacques-Cartier (1), je me suis arrêté au milieu de la travée (2) qui surplombe la Voie maritime. Je voyais au loin, en aval, un cargo qui se dirigeait vers le chenal qui longe l’île Sainte-Hélène, du côté sud du fleuve Saint-Laurent. J’attendais qu’il passe sous le pont pour le photographier en plongée (3). Ce que j’ai fait le moment venu.
Puis, j'ai poursuivi mon trajet sur le pont vers les deux îles au milieu du Fleuve : Sainte-Hélène et Notre-Dame. J’avais, il y a longtemps vagabondé sur l’île Notre-Dame, créée de toute pièce pour l’exposition universelle de 1967. Je n’y étais pas revenu depuis quelques années. J’ai découvert, en m’approchant, l’aménagement autour des anciens pavillons de France et du Québec devenus le Casino de Montréal.
J’amène régulièrement mon chien courir dans un parc situé juste en face de ce Casino, sur la terre ferme, rive sud du fleuve. La voie rapide, le chenal qui mène les cargos et autres géants maritimes à l’écluse de Saint-Lambert - ou les en ramène - , premier passage canalisé de la Voie maritime du Saint-Laurent nous séparent de quelques centaines de mètres des deux îles. J’ai donc, devant moi, chaque fois mais de loin, sans détails, cet ensemble que forment le casino et la ville de Montréal, son centre (4) et son Mont Royal.
Sur l’île, au pied du Casino, on plonge dans une atmosphère aquatique. Il y a des structures qui rappellent des voiliers tanguant sur des bassins réfléchissant le ciel (5).
Ce cargo qui se dirigeait vers l’écluse, que je revois, ces faux voiliers, ces bassins d’eau et l’ambiance calme et ordonné de cet environnement si près de chez moi, mais jusque-là inconnu, m’ont rappelé le titre du magnifique poème de Baudelaire: Invitation au voyage.
De retour devant mon ordinateur, outil de travail complémentaire à mon appareil photo et essentiel au traitement que je fais subir à mes photos, je me propose de faire un montage à partir de quelques photos prises en matinée.
Je m’y mets. J’y travaille plusieurs heures. Je m’éloigne. J’imagine des solutions à mes questionnements, à des insatisfactions de couleurs, de formes, de superpositions d’images. J’y retravaille encore. Je laisse passer quelques jours. J’y reviens.
Je trouve des réponses à mes doutes.
Je jette sur papier quelques mots que m’inspire le montage. Puis, je me dis que je devrais peut-être revoir le poème de Baudelaire… pour m’inspirer!
Choc. Tout revient. Étudiants à l’université, nous avions un cours qui s’intitulait « Liste de lecture »; un cours à faire en silence et en solo. Une liste de centaines de grands textes de la littérature française était imposée à chacun de nous et à chacun pour soi. Nous devions les avoir lus avant la fin de nos trois années d’études. L’examen final qui comptait pour toute la note du cours se déroulait comme suit : un groupe de professeurs se partageaient les étudiants inscrits à ce cours et les rencontraient individuellement pour un interrogatoire à partir de ce corpus. Je me souviens très bien qu’un des textes dont j’ai dû parler était Invitation au voyage, extrait du recueil de poèmes Les fleurs du mal de Charles Baudelaire, publié en 1857. J’en ai fait une analyse à la volée. Je ne me souviens pas du tout de ce que j’en ai dit, ni de la note que j’ai obtenue.
50 ans plus tard, j’assemble quelques photos faites comme ça, sans préméditation à l’occasion d’une promenade par une belle journée de septembre, photos qui m’ont sur le coup rappelé une phrase déjà familière. En fin de parcours créatif, je relis l'immense poème dont le titre est cette phrase puisée dans les méandres de ma mémoire. Étonnement et enchantement: chaque mot, chaque vers d'Invitation au voyage résonne dans le choix des images, la construction, les couleurs du photomontage. On peut peut-être y sentir les deux vers les plus connus :
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Le poème étudié, analysé il y a 50 ans, ses vibrations toujours présentes ont guidé, malgré mon oubli, la prise de photos, les choix du montage et des mots du texte qui l’accompagne.
Mémoire, mémoire, quand tu nous tiens!
FRF 21 septembre 2021
(texte et images revus et corrigés le 16 août 2023)
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Voir le texte du poème de Baudelaire :
chanté par Léo Ferré
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