1ère mise à jour 2020-10-10 — Le Devoir, Jérôme Delgado
2è mise à jour 2021-06-19 — Le Devoir, Serge Joyal
3è mise à jour 2021-06-26 — Le Devoir, Patrick Moreau
Voir plus bas
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Pistolet ou genou sur la gorge, même combat, même effet

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Ce n’est pas la vidéo d’un crime saisi par une passante, ni un égoportrait exécuté devant la statue de la Liberté, non, mais c’est gravé dans la pierre et fondu dans le bronze au centre du Vieux-Montréal.
Dans la scène figée pour l’éternité, l’Exploit de la Place d’Armes nous fait voir l’Européen qui pointe son pistolet vers la gorge de l’autochtone. Aujourd’hui, il y presserait peut-être le genou… pendant 8 minutes 46 secondes (correction: 9 minutes 29 secondes plus précisément - 2021-04-pour « dominer », « imposer sa suprématie ».
Cet « exploit » tient bonne place à la base du monument aux fondateurs de Ville-Marie sur le Place d’Armes, bas-relief[1] situé entre l’Iroquois et Jeanne Mance [ voir Retour à la Place d'Armes], qui illustre un des quatre évènements emblématiques des premiers temps de la colonie. Une bande dessinée pour le visiteur : Signature de l’acte de fondation de Ville-Marie,  Prise de possession – première messe, et Mort héroïque de Dollard au Long Sault.
Cette « prise de possession » se réclamant de l’autorité divine et royale a ouvert toute grande la porte du territoire à force de croix et d’épées. Du même coup, le petit établissement humain s’est replié sur lui-même, s’est enfermé à l’intérieur de fortifications dont les traces sont parfois visibles au sol, entre certains édifices[2]. Puis l’occupant a bâti, construit, érigé, établi, bien assis sa puissance. Preuves: vestiges éloquents vus de la rue Saint-Paul : un mur de pierre brute, fantôme du Régime français, collé à l’arrière de briques rouges d’une construction toute britannique à la façade imposante recouverte de pierres de taille si raffinées, en face, sur la rue Notre-Dame, un Palais de justice – le poids des mots et des images riches de vérité!
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Charles Daudelin - Allegrocube
Charles Daudelin - Allegrocube
Charles Daudelin - Allegrocube
Charles Daudelin - Allegrocube
Charles Daudelin - Allegrocube
Charles Daudelin - Allegrocube
Devant le « Palais », dernièrement, l’« Allegrocube » de Charles Daudelin a été doré, lui, abandonné, figé dans son mouvement interrompu depuis tant d’années – à l’origine les deux parties articulées se rejoignaient et s’éloignaient l’une de l’autre dans une alternance d’ouverture, de fermeture perpétuelles. Espoir! On peut se reposer à ses côtés, y réfléchir en toute quiétude, y trouver la paix du corps et de l’esprit.
FRF, 7 juin 2020

[1] « Exploit de la Place d’Armes », bronze de Louis-Philippe Hébert
[2] Au sol du Centre de commerce mondial, souvenir verbal le long de la ruelle des Fortifications et en vrai, au Champ de Mars, entre autres.
Dans l'image, à droite, se profile une structure métallique en forme d'arc qui représente le contour des fortifications entre 1717 et 1806. Cette structure s'élève sur l'avenue McGill au sud de la station de métro Place Victoria.
NOTE
1895, une autre année à la gloire des esclavagistes et de toutes les autorités discriminatoires
L’année 1895 a vu l’érection de monument à Paul Chomedey de Maisonneuve sur la Place d’Armes à Montréal et donc l’apposition du bronze « Exploit de la Place d’Armes » . La même année, à Bristol en Angleterre, on a élevé une statue à Edward Colston (1636-1721) qui s’est enrichi par le commerce des esclaves. Dimanche dernier (2020-06-07), on a déboulonné sa statue qui a été ensuite jetée dans la rivière Avon, rapportent plusieurs médias d’information. La fin des symboles?
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Mises à jour

Complément d'information
Le 10 octobre 2020, dans le Devoir, Jérôme Delgado a publié un article intitulé Doit-on peindre et exposer la violence? Article qui pose des questions sur la censure et le déni de certains faits historiques. Il parle du cas de Philip Guston dont on a reporté des expositions à plus tard. Il cite le cas de l’œuvre de L.-P. Hébert et du Monument à Maisonneuve autour duquel j’ai aussi fait deux montages : Place de pierres et de pouvoirs, peuple de bronze et Retour à la Place d'Armes.
J’extrais de l’article de Delgado dans le Devoir, le passage suivant qui cite la thèse de maitrise de l’historien de l’art David Gauthier.
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Barbare imaginaire
L’historien de l’art David Gauthier va plus loin : Louis-Philippe Hébert est raciste. Il ne peut l’excuser, même en le replaçant dans son époque — celle où les élites tendent à affirmer leur grandeur en opposant les racines européennes à la « barbarie » de l’Autre.
Dans son mémoire de maîtrise (2007), le chercheur étudie 25 sculptures d’Hébert dotées de figures autochtones, portant les stéréotypes du pagne et de la plume. « Pas une œuvre devant laquelle je ne me sens pas mal à l’aise. Ce sont de belles sculptures, mais le discours adjacent est moralisateur, raciste », résume-t-il.
Le cas du « pionnier de la sculpture commémorative en bronze au Québec » pose un problème de taille : bon nombre de ses œuvres se trouvent dans l’espace public. Monument à Maisonneuve (1893), installée à la place d’Armes, dans le Vieux-Montréal, en est un exemple type. Hébert y a modifié le programme originel. Plutôt que de montrer le personnage autochtone comme un allié de Maisonneuve, il l’a placé en ennemi.
« L’Autochtone est associé à la barbarie. Il est mis en opposition à Charles Le Moyne, un traducteur, militaire, seigneur, représenté ici en agriculteur, en vision de la civilisation. »
Faut-il détruire ce monument comme celui de John A. Macdonald, tombé sous la grogne populaire ? David Gauthier propose une solution pour atténuer le discours : retirer le mot « iroquois ». « Même si sa forme ne change pas, le personnage devient celui qui aide Maisonneuve à se défendre. L’œuvre serait plus respectueuse. »
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Doit-on peindre et exposer la violence? Jérôme Delgado, in Le Devoir, 10 octobre 2020.
Voici la référence à l’article complet
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Déboulonner les monuments de Maisonneuve et de Dollard? Voilà le titre d'un article signé Serge Joyal dans le Devoir du samedi 19 juin 2021

Voici un extrait :
"Deux des bas-reliefs du piédestal du monument à Maisonneuve sont d’une violence inouïe : Maisonneuve tire à bout portant sous le menton d’un chef iroquois (30 mars 1644) ; dans l’autre, Dollard se débat alors qu’un de ses compagnons va trancher la tête d’un Iroquois qu’il étrangle de son autre main (mai 1660). Puis, tout autour, Lambert Closse et Charles Le Moyne font le guet, mousquet et faucille à la main, prêts à affronter l’Iroquois, qui se tient tapi, tomahawk à la main."
Je me permets d'illustrer les  propos de M. Joyal en ajoutant une photo des deux bas-reliefs cités dans son article.
Exploit de la Plce d'Armes
Exploit de la Plce d'Armes
Mort héroïque de Dollard au Long Sault
Mort héroïque de Dollard au Long Sault
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Patrick Moreau publie dans le Devoir du 26 juin 2021 un texte intitulé Les statues, le passé et nous, qui apporte un autre éclairage sur les relations Autochtones/Européens en Amérique.
Voici un extrait: " Selon les conceptions de ces années-là, les Iroquois (ennemis de la Nouvelle-
France) — et non pas les Autochtones en général, qui apparaissent figurés de façon bien différente
sur des tableaux ou gravures de la même époque — sont représentés comme des guerriers
sauvages, sanguinaires, barbares, qui méritent d’être tués. Cela fait partie du mythe
historiographique qui s’est construit dans le courant des derniers siècles, mythe qui n’était pas
entièrement faux, puisqu’effectivement la confédération des Cinq-Nations a bien failli menacer
jusqu’à l’existence de Ville-Marie, voire celle de la colonie tout entière.
Les Iroquois qui apparaissent sur ces monuments n’y figurent donc pas en tant qu’occupants
préalables du territoire qu’il s’agit de vaincre pour s’emparer de leurs terres, mais en tant qu’ennemis
repoussés par des défenseurs héroïques de Montréal et de la Nouvelle-France lors d’épisodes
guerriers. On rappellera d’ailleurs que, lors de ces guerres qui les opposent à la Confédération
iroquoise, les Français ont pour alliés d’autres Amérindiens (Hurons et Algonquins notamment) qui
défendent eux aussi leurs territoires contre l’expansionnisme de leurs voisins iroquois".

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