1ère mise à jour 2020-10-10 — Le Devoir, Jérôme Delgado
2è mise à jour 2021-06-19 — Le Devoir, Serge Joyal
3è mise à jour 2021-06-26 — Le Devoir, Patrick Moreau
Voir plus bas
_________________________________________________________________________
En ce moment d’absence d’êtres humains, de chair et d’os, cette place, lieu de culte matériel et spirituel est envahie par de solides fantômes, ceux des deux fondateurs de la cité : Jeanne[1] et Paul[2] , suivis par Charles[3] et Raphaël[4] accompagné de Pilote, son inséparable chien. Le groupe, sculpté par Louis-Philipe Hébert en 1895, est précédé d’un autochtone sans nom[5], ni prénom, en d’autres mots : anonyme.
Seul à être né dans les environs, il est aussi le seul à n’avoir pu donner son nom ni à des villes, ni à des rues, ni à des hôpitaux, ni surtout pas à des écoles.
Dans cette vision rêvée ou revisitée de la Place d’Armes de Montréal, il n’est pas le guerrier mais le guide, l’éclaireur, celui qui accueille les Européens nouvellement débarqués. C’est lui qui leur ouvrira toutes grandes les portes du nord de ce continent déjà peuplé jusqu’en Patagonie par ses frères. Tous ces peuples transaméricains ont, eux, vraiment découvert l’Amérique.
Ces cinq personnages remontant autrement la ligne de l’Histoire ont presque tous le regard tourné, tout comme celui du gentleman portant son carlin[6], vers Notre-Dame, la basilique de la Place. Invisible sur cette photo, on l’imagine à côté du vieux séminaire des Sulpiciens (1688) qui se reflète sur le mur-rideau du 500 Place d’Armes, édifice de 1968 d’inspiration Style international et ancien siège social d’une banque. On devine Notre-Dame, au regard des personnages. Elle est devant l’autre monument bancaire (1847) d’inspiration religieuse – le Panthéon de Rome construit en 27 avant l’ère commune et dédié à tous les dieux romains.
Sur cette Place, les temples de toutes sortes s’inspirent les uns les autres! Quelle continuité! Toutes les déesses et tous les dieux des pouvoirs civils et religieux s’y côtoient, s’y croisent, s’entremêlent dans un ballet continuel et perpétuel.
Mais aujourd’hui, plusieurs des visiteurs de la Place sont masqués. L’Anglais au carlin et la Française au caniche[7] à deux des extrémités de la Place, eux, masqués dans la tradition de la Commedia dell’arte jouent les snobs chacun dans son coin; distanciation sociale oblige, n’est-ce pas!
FRF 31 mai 2020
_________________________
[1] Jeanne Mance
[2] Paul Chomedey de Maisonneuve
[3] Charles Lemoyne
[4] Raphaël-Lambert Closse
[5] Sur le devant du socle du bronze, seul apparaît le mot « Iroquois ».
[7] On remarquera, devant la première fenêtre à l’extrême gauche de l’édifice de la banque de Montréal inspiré du Panthéon de Rome, l’autre moitié de la paire de sculptures de Fortier, Le caniche français.
Mises à jour
Complément d'information
Le 10 octobre 2020, dans le Devoir, Jérôme Delgado a publié un article intitulé Doit-on peindre et exposer la violence? Article qui pose des questions sur la censure et le déni de certains faits historiques. Il parle du cas de Philip Guston dont on a reporté des expositions à plus tard. Il cite le cas de l’œuvre de L.-P. Hébert et du Monument à Maisonneuve autour duquel j’ai fait deux montages : celui de cette page et l’autre.
J'ai aussi extrait un bas-relief de ce monument, L'Exploit de la Place d'Armes, pour le rapprocher du meurtre de George Floyd le 25 mai 2020.
J’extrais de l’article de Delgado dans le Devoir, le passage suivant qui cite la thèse de maitrise de l’historien de l’art David Gauthier.
_______________
Barbare imaginaire
L’historien de l’art David Gauthier va plus loin : Louis-Philippe Hébert est raciste. Il ne peut l’excuser, même en le replaçant dans son époque — celle où les élites tendent à affirmer leur grandeur en opposant les racines européennes à la « barbarie » de l’Autre.
Dans son mémoire de maîtrise (2007), le chercheur étudie 25 sculptures d’Hébert dotées de figures autochtones, portant les stéréotypes du pagne et de la plume. « Pas une œuvre devant laquelle je ne me sens pas mal à l’aise. Ce sont de belles sculptures, mais le discours adjacent est moralisateur, raciste », résume-t-il.
Le cas du « pionnier de la sculpture commémorative en bronze au Québec » pose un problème de taille : bon nombre de ses œuvres se trouvent dans l’espace public. Monument à Maisonneuve (1893), installée à la place d’Armes, dans le Vieux-Montréal, en est un exemple type. Hébert y a modifié le programme originel. Plutôt que de montrer le personnage autochtone comme un allié de Maisonneuve, il l’a placé en ennemi.
« L’Autochtone est associé à la barbarie. Il est mis en opposition à Charles Le Moyne, un traducteur, militaire, seigneur, représenté ici en agriculteur, en vision de la civilisation. »
Faut-il détruire ce monument comme celui de John A. Macdonald, tombé sous la grogne populaire ? David Gauthier propose une solution pour atténuer le discours : retirer le mot « iroquois ». « Même si sa forme ne change pas, le personnage devient celui qui aide Maisonneuve à se défendre. L’œuvre serait plus respectueuse. »
_______________
Doit-on peindre et exposer la violence? Jérôme Delgado, in Le Devoir, 10 octobre 2020.
Voici la référence à l’article complet
On peut avoir accès au mémoire de maitrise de David Gauthier en format numérique: La représentation de l'Autochtone dans l’œuvre du sculpteur Louis-Philippe Hébert (1850-1917) : figure d'altérité au service d'une idéologie nationale.
_________________________________________________________________________
Déboulonner les monuments de Maisonneuve et de Dollard? Voilà le titre d'un article signé Serge Joyal dans le Devoir du samedi 19 juin 2021
Voici un extrait :
"Deux des bas-reliefs du piédestal du monument à Maisonneuve sont d’une violence inouïe : Maisonneuve tire à bout portant sous le menton d’un chef iroquois (30 mars 1644) ; dans l’autre, Dollard se débat alors qu’un de ses compagnons va trancher la tête d’un Iroquois qu’il étrangle de son autre main (mai 1660). Puis, tout autour, Lambert Closse et Charles Le Moyne font le guet, mousquet et faucille à la main, prêts à affronter l’Iroquois, qui se tient tapi, tomahawk à la main."
Je me permets d'illustrer les propos de M. Joyal en ajoutant une photo des deux bas-reliefs cités dans son article.
_________________________________________________________________________
Patrick Moreau publie dans le Devoir du 26 juin 2021 un texte intitulé Les statues, le passé et nous, qui apporte un autre éclairage sur les relations Autochtones/Européens en Amérique.
Voici un extrait: " Selon les conceptions de ces années-là, les Iroquois (ennemis de la Nouvelle-
France) — et non pas les Autochtones en général, qui apparaissent figurés de façon bien différente
sur des tableaux ou gravures de la même époque — sont représentés comme des guerriers
sauvages, sanguinaires, barbares, qui méritent d’être tués. Cela fait partie du mythe
historiographique qui s’est construit dans le courant des derniers siècles, mythe qui n’était pas
entièrement faux, puisqu’effectivement la confédération des Cinq-Nations a bien failli menacer
jusqu’à l’existence de Ville-Marie, voire celle de la colonie tout entière.
France) — et non pas les Autochtones en général, qui apparaissent figurés de façon bien différente
sur des tableaux ou gravures de la même époque — sont représentés comme des guerriers
sauvages, sanguinaires, barbares, qui méritent d’être tués. Cela fait partie du mythe
historiographique qui s’est construit dans le courant des derniers siècles, mythe qui n’était pas
entièrement faux, puisqu’effectivement la confédération des Cinq-Nations a bien failli menacer
jusqu’à l’existence de Ville-Marie, voire celle de la colonie tout entière.
Les Iroquois qui apparaissent sur ces monuments n’y figurent donc pas en tant qu’occupants
préalables du territoire qu’il s’agit de vaincre pour s’emparer de leurs terres, mais en tant qu’ennemis
repoussés par des défenseurs héroïques de Montréal et de la Nouvelle-France lors d’épisodes
guerriers. On rappellera d’ailleurs que, lors de ces guerres qui les opposent à la Confédération
iroquoise, les Français ont pour alliés d’autres Amérindiens (Hurons et Algonquins notamment) qui
défendent eux aussi leurs territoires contre l’expansionnisme de leurs voisins iroquois".
préalables du territoire qu’il s’agit de vaincre pour s’emparer de leurs terres, mais en tant qu’ennemis
repoussés par des défenseurs héroïques de Montréal et de la Nouvelle-France lors d’épisodes
guerriers. On rappellera d’ailleurs que, lors de ces guerres qui les opposent à la Confédération
iroquoise, les Français ont pour alliés d’autres Amérindiens (Hurons et Algonquins notamment) qui
défendent eux aussi leurs territoires contre l’expansionnisme de leurs voisins iroquois".
Lire le texte complet à : [ http://ledevoir.pressreader.com/search?query=Patrick%20Moreau&in=ALL&date=ThisMonth&hideSimilar=0 ]
_________________________________________________________________________