Les passantes du temps
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LES PASSANTES DU TEMPS

En 1926, Man Ray a composé sa Kiki Noire et Blanche.
Sur une table :
tête couchée sur le côté,
les yeux clos,
accompagnée d'un masque noir
soutenu sur la pointe du menton
par la main gauche de la femme blanche.

Iconique et sublime œuvre du photographe américano-français,
dadaïste et surréaliste.

Renversement à la Man Ray?
« Inversion » couleur d'une photo en noir et blanc
inspirée d'une dualité familière
et interrogatrice?

Fragile feuille séchée suspendue par son pétiole
à peine retenant,
sous une tige couverte de cristaux de neige.
Immobile.
Lumière d'hiver,
latérale et froide.

Cycle immuable du vivant :
vert d'été passant à l'ocre d'automne.
Instant figé et glacé.

Bourgeon en dormance
pointant déjà vers le printemps.

Merveilleux d'équilibre
dans ce passage du temps.

Suspendue,
la feuille se révèle.
Un visage :
deux petits yeux grands ouverts
sur l'attente,
lèvres pincées,
longue arête du nez,
menton, joues, front.

Lumière franche et sculptrice.
Vivant devenu art?
Duchamp se tient tout près
– ou presque –
avec ses « readymades » industriels.

Illuminée de la même lumière cosmique,
tête sculptée, couchée sur le côté,
menton pointant vers le visage végétal
découvert,
révélé par un autre œil?
En plein sommeil,
masque africain
aux joues scarifiées
à l'image des nervures de la feuille.
Bouche satisfaite des rêves géométriques,
mathématiques, scientifiques,
explicatifs de l'Univers;
orgueilleuse des réalisations
civilisatrices.

Solide monument déposé
sur l'autel déclaré immuable.
Assurance illusoire d'éternité.
FRF 7 décembre 2021
Réflexion en ce mois de février 2023
Man Ray, en 1926, a monté, montré une opposition, dans sa photo en noir et blanc, Kiki Noire et blanche: la tête de femme blanche, Kiki de Montparnasse, couchée sur une table, les yeux clos, tenant de sa main gauche, un masque noir, d'Afrique, debout sur la pointe du menton. Image iconique s'il en est.
Remarquons l'ordre des mots — noire et blanche, comme la photo en noir et blanc  — dans une majorité de langues pour définir ce type de photo et non l'inverse comme en espagnol foto en blanco y negro et en italien foto in bianco e nero, entre autres. Kiki est blanche mais rêve-t-elle devenir autre, d'être élevée au rang de symbole,  « civilisée » en quelque sorte, comme le masque?
Les passantes du temps s'inspire de cette photo dans la construction en opposition multiple : noir/blanc, horizontal/vertical, réel/symbolique; mais sur un autre plan, on peut, dans ce montage, y lire l'opposition nature/civilisation; une nature en dormance? en péril? au vu de ce masque aux yeux « fermés », élevé au rang de statue sur le socle d'une civilisation dominatrice de la nature. On oppose toujours civil et naturel... naturel, de la nature et civil — civilisé (éduqué, policé, poli) , civilité, civilisation. N'y a-t-il pas une « civilité » que l'on doit à la Nature, un respect de sa complexité, de son équilibre, condition essentielle, indispensable au maintien et même à la survie de la civilisation au sens commun du terme. 
FRF 3 février 2023
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19 janvier au 26 février 2023
Lieu et cadre: Une exposition collective de membres de la galerie AXART de Drummondville.
Un photomontage intitulé : Les passantes du temps.
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Matériel complémentaire sur Les passantes du temps
Une aventure transatlantique de Kiki Noire et blanche
Le photomontage dans son environnement habituel
Le photomontage dans son environnement habituel
L'appareil-photo explore et tombe sur Hausmann derrière sa compagne
L'appareil-photo explore et tombe sur Hausmann derrière sa compagne
Plus bas, en plongée, on découvre une épreuve en négatif
Plus bas, en plongée, on découvre une épreuve en négatif
On s'approche...
On s'approche...
...un peu plus
...un peu plus
Plus près encore
Plus près encore
Bouleversant
Bouleversant
Apothéose
Apothéose
Une exposition collective, sous le thème de « Bouturage d’images » a eu lieu à la Galerie Axart, en 2018.
La consigne était la suivante : déposer trois « bouts » de papiers, de photos, de dessins, de toiles de n’importe quelle provenance, épars sur une surface à peintre ou à dessiner; peindre ou dessiner autour afin de faire du tout une œuvre cohérente.
Comme photographe, j’ai relevé le défi, d’abord pour moi-même, pour m'assurer que la photographie me donnait les outils pour y arriver, et que je pouvais dépasser ma démarche habituelle de photographe.
Les outils, je me suis rendu compte que je les avais. La démarche inhabituelle, il fallait que je la découvre.
Je photographie avant tout, depuis toujours, des « sculptures habitées », des structures construites par des humains. La travail des architectes et des ingénieurs m'intéresse au plus haut point. Montrer ces constructions sous des angles inhabituels, voilà mon défi. De taille plus modeste, peintures, dessins, sculptures, installations, les faire voir autrement, pourquoi pas.
« Bouturer » à partir du travail de photographes que j'admire; trouver des photos en rond, en losange, en carré, voilà mes trois points de départ.
J'ai choisi trois photos : un autoportrait au rétroviseur rond d’Albert Renger-Patzch (1897-1966), une photo sur la pointe, de Raoul Hausmann (1886-1971) et de sa compagne Hanna Höch vers 1917 — pointe supérieure du triangle de mon photomontage — et une troisième, la célébrissime Kiki Noire et Blanche de Man Ray (1890-1976) épreuve en négatif, version inattendue s'il en est une.
J’avais oublié ce photomontage fait sur les traces de Raoul Hausmann qui dès 1918 « utilise le photomontage pour analyser les images[1] ».
J’ai voulu, bien après avoir composé Les passantes du temps , conscient de l’influence de Man Ray sur mon travail de photographe, repartir de ce photomontage intitulé Sur l’échiquier de la création pour faire de nouvelles photos, une nouvelle série : le photomontage en entier et 7 fragments, le tout photographié dans son environnement habituel.
Voilà les 8 photographies, qui ne sont pas, elles, des photomontages, résultant de cette rétro-réflexion photographique en action, une re-plongée dans l’acte créatif.
Revenant à Man Ray, cet États-unien ayant vécu en Europe, a produit Kiki Noire et Blanche, en France. Cette image très connue, hante la mémoire de bien des photographes par sa composition, sa cohérence, sa grande inventivité pour l’époque, sa simplicité, etc. En 2013, on retrouve cette photo sur un timbre des services postaux des États-Unis. Elle passe et repasse constamment de l’Europe à l’Amérique et retour, sans parler de ses autres « voyages » à travers le Monde. On pourrait lui attribuer une multitude de fonctions comme celle d’atténuer bien des formes de discriminations.

[1] DadaAfrica, catalogue de l’exposition « Dada Africa. Sources et influences extra-occidentales », musée de l’Orangerie du 18 octobre 2017 au 19 février 2018 , éditions de Musée d’Orsay et de l’Orangerie, et des éditions Hazan, p. 178. On considère Raoul Hausmann comme le père du photomontage. Alors, Il était de bon aloi de lui faire un clin d’œil en partant d'une photo où il est même à demi caché derrière sa compagne!
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